mercredi 10 septembre 2014

Etude annuelle du Conseil d’Etat – Le numérique et les droits fondamentaux – Mise en bouche



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Attendue par l'espèce "juris geekum", l’étude annuelle du Conseil d’Etat consacrée au numérique et aux droits fondamentaux a été dévoilée hier, mardi 9 septembre 2014.
En effet, pour tout bon juriste qui se respecte, la parole du Conseil d’Etat vaut parole d’évangile. Cette parole, de qualité, est heureuse car la juridiction suprême administrative porte en elle la légitimité juridique dépassant n’importe quel autre rapport gouvernemental sur le même sujet. Elle est également la bienvenue dans le domaine des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) [1] , domaine longtemps mal appréhendé par la sphère juridique.

Le rapport, épais de 446 pages et de 50 propositions, a le mérite d’étendre la pensée juridique du Conseil d’Etat sur une très large variété de sujets, allant de la neutralité du net à la régulation des algorithmes, tout en sacralisant l'évolution du numérique et la protection des droits fondamentaux.

Le Conseil d’Etat part du constat que « l’essor du numérique a suscité la reconnaissance de nouveaux droits fondamentaux [le droit  à la protection des données personnelles et le droit d’accès à internet] et modifié leurs conditions d’exercice » et débute, comme toute bonne dissertation de droit, par exposer les définitions des notions de numérique[2] et de l’économie numérique[3], souvent éludées .

Dans un second temps, il met en exergue l’enjeu principal de son étude à savoir  « l’ambivalence du numérique [qui] nécessite de repenser la protection des droits fondamentaux ». En effet, le numérique « ouvre de nouveaux espaces de libertés tout en étant porteur de risques pour celles-ci ». L’exemple le plus connu est l’explosion de l’usage des données personnelles ou "data" et des risques associés qui oblige à repenser leur protection notamment à travers les phénomènes de métadonnées "big data" et d'Internet des objets "Internet of Thing".

Enfin, après ce rappel du contexte et des enjeux du numérique, le Conseil d’Etat énonce ses recommandations dont l’objectif est de mettre le numérique au service des droits individuels et de l’intérêt général.
Il s’agit à la fois d’idées nouvelles (proposition d’envisager un droit à l’autodétermination comme un droit de propriété –proposition n°1/ création d’un numéro national non signifiant – proposition n°21) mais également des propositions de renforcement d’actions existantes ou tout juste balbutiantes (donner plus de pouvoirs à la CNIL – proposition n°4 /charte de bonnes pratiques étatique sur l’Open Data – proposition n°32) ou encore de propositions d’élargissement au niveau international (rédaction d’une convention internationale relative aux libertés fondamentales et aux principes de la gouvernance d’internet - proposition n°50).

Ce rapport arrive à un tournant de la prise en compte du numérique par l’Etat. Un faisceau d'indices va d'ailleurs en ce sens avec notamment le lancement de la consultation sur le numérique pilotée par le Conseil National sur le Numérique et l’annonce de l'étude du projet de loi sur le numérique portée par Axelle Lemaire, secrétaire d’état chargée du numérique, en début d'année 2015.
 Comme le martèle le Conseil d’Etat, « les Etats ne sont pas moins légitimes à légiférer sur les réseaux numériques que sur tout autre domaine d’activité humaine », il est donc temps pour l’Etat de ne plus avoir peur d’un inconnu, qui le devient d’ailleurs de moins en moins, et de prendre ses responsabilités de régulateur.
Mais cela n’est pas sans soulever des difficultés car cette régulation est soumise à un véritable numéro d’équilibriste : il faut que l’action de l’Etat soit à la fois contraignante pour prévenir des aspects négatifs, à la fois souple pour accompagner le potentiel positif du numérique tout en prenant en compte les réglementations issues des instances européennes et internationales.







[1] Ce fut également le cas au sujet du Cloud computing. Lire à ce sujet l’article de ce blog du 1er novembre 2013 « le cloud computing, véritable nébuleuse juridique »

[2] « Le numérique se définit comme la représentation de l’information ou de grandeurs physiques (images, sons) par un nombre fini de valeurs discrètes, le plus souvent représentées de manière binaire par une suite de 0 à 1 ».


[3] « Définie strictement, l’économie numérique se compose de quelques secteurs spécialisés tels que les télécommunications, l’édition de logiciels ou les sociétés de service et d’ingénierie informatique (SS2I) ».