Jeudi soir dernier s’est tenu au Cercle européen de la
sécurité des systèmes d’information le dernier débat de la saison avant les
célèbres et luxueuses Assises de Monaco en octobre.
Initialement, au programme était prévue une invitée de
marque, la présidente de la Commission Nationale de l’informatique et des
libertés (CNIL), Mme Isabelle Falque Pierrotin. Suite à un imprévu de dernière
minute, elle fut remplacée au pied levé par le secrétaire général de la CNIL, M.
Edouard Geffray. Sans aucune note sous les yeux, M. Geffray fut interrogé sur
divers et nombreux sujets actuels pendant plus d’une heure par M. Nicolas
Arpagian, modérateur de ce débat.
D’une présentation détaillée de l’action de la CNIL, à des
questions sur la loi de programmation militaire de décembre 2013 [1]
en passant par les caractéristiques du monde post Snowden, M. Geffray a, avec
une grande aisance, dépeint la vision de la CNIL sur le thème suivant :
« sécurité numérique et vie privée sont-elles incompatibles ? ».
1. La nouvelle prise
de conscience de l’internaute
M.Geffray a mis en exergue le symptôme actuel de
l’internaute : le « privacy paradox ».
En effet, les internautes donnent de plus en plus d’éléments
relatifs à leur vie privée sur Internet notamment via les réseaux sociaux.
Toutefois, dans le même temps, ils s’inquiètent de plus en plus sur le devenir
de leurs données privées, distribuées « arbitrairement » auprès des
géants de l’Internet.
Concrètement, ce phénomène se traduit par une hausse des
demandes du droit d’accès indirect [2]
et des plaintes relatives au droit à l’oubli. En l’espace de deux années, les
demandes de droit d’accès indirect ont augmenté de 105% et les plaintes sont
passées de 4500 à 6000.
Cette inquiétude croissante, principalement faisant suite
aux révélations Snowden, s’est propagée autant du côté de l’internaute
consommateur que du côté de l’internaute distributeur.
Cela est prouvé par le constat que les sociétés françaises
sont de plus en plus sensibilisées à la réglementation relative à la protection
des données à caractère personnel [3]
en comptabilisant la désignation de 14 000 Correspondants Informatiques et
Libertés [4]
en 2014.
Même les géants américains de l’Internet ont décidé de
mettre en avant leur conformité à cette réglementation.
L’exemple le plus notable est Google, qui après sa
condamnation dans l’arrêt, devenu célèbre de la Cour de justice de l’Union
européenne (CJUE) du 13 mai 2014 [5]
, a mis en ligne un questionnaire à l’intention de tous les internautes qui
souhaiteraient bénéficier du droit à l’oubli. Google respecte la décision du
juge européen, agit en conséquence et surtout l’a bien fait savoir.
Le piratage des bases clients ayant un effet négatif sur l’image
de la société, les entreprises ont désormais conscience que la sécurité est un véritable
gage de compétitivité. Cela se manifeste même par le développement du concept « Privacy by design » qui intègre les
principes de la protection de la vie privée dès la conception du produit ou du
service. L’intégration de la fonctionnalité du « kill switch » [6]
dans un smartphone en est un premier exemple.
Il s’agit là d’une progression notable en faveur de la
protection des données à caractère personnel. Certes, ce sont des progrès très
progressifs mais la tendance est bel et bien présente, les sociétés sont prêtes
à miser sur un standard de sécurité élevé pour susciter l’adhésion du
consommateur. La sécurité est donc un atout concurrentiel de valeur !
Ainsi, pour M. Geffray, la sécurité numérique et la
vie privée ne sont pas des notions incompatibles mais vont même de pair. Edouard
Geffray va même plus loin en assurant, contrairement aux déclarations de M.Vint
Cerf, que la vie privée ne va disparaître car il s’agit d’une notion
consubstantielle de l’individu et ses données personnelles sont l’atome de la
société. Il faut garder à l’esprit que chaque individu conserve son consentement,
pour donner ses données, et qu’en cas de problème il peut toujours se prévaloir
de ses droits.
2. L’action de la
CNIL pour la confiance dans le numérique
La CNIL rassure grâce au développement de nouveaux outils
dont l’objectif principal est de conférer la confiance dans
le numérique.
A titre d’exemple, il est important de savoir
que la CNIL a mis en place un système de « labels CNIL [7] » qui garantissent,
d’une part, que les entreprises ayant
obtenu ce label se distinguent
par la qualité de leur service et, d’autre part, pour les utilisateurs que
les produits ou procédures labellisés sont de confiance en matière de
protection des données personnelles.De plus, vous pouvez trouver sur le site internet de la CNIL une riche documentation telle une fiche qui énonce les clauses contractuelles types à insérer dans un contrat relatif au recours d’une infrastructure Cloud (Recommandations pour les entreprises pour souscrire à des services Cloud)ou encore télécharger le programme « Cookieviz » qui est un outil de visualisation identifiant en temps réel les cookies qui transmettent des informations vous concernant à d'autres sites.
Enfin, par son appartenance au G29 [8],
la CNIL inscrit son action dans un cadre juridique européen cohérent. Le
bandeau avertissant de l’existence de
cookies lors de votre navigation sur Internet ou encore les poursuites
répétées à l’encontre de la politique de confidentialité de Google sont des
illustrations de cette action commune.
D’ailleurs, à quand le G29 des ANSSI européennes qui,
en dehors des questions de cyber-souveraineté, pourrait agir sur la
sensibilisation des internautes à la sécurité informatique ?
Ainsi, dans son domaine, la CNIL, par son action pragmatique
et proactive, est au cœur de la réglementation de l’univers numérique. Celle-ci
doit être renforcée en liaison avec les autres acteurs institutionnels tels l’ANSSI,
l’ARCEP, l’ARJEL pour mettre en place une bonne coordination faire du monde
numérique un monde de confiance.
Pour continuer votre lecture, sur le même débat : l' article de Jérôme Saiz
ou le compte-rendu officiel du Cercle.
[1]
Loi n°
2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les
années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la
sécurité nationale
[2] Le droit d’accès indirect est une procédure spécifique qui concerne :
-
les fichiers intéressant la sûreté de l’Etat, la défense et la sécurité
publique (fichiers de
police judiciaire, fichiers des services de l’information générale - « ex
renseignements généraux » -, fichiers de renseignement de la direction générale
de la sécurité extérieure, fichier Schengen) ;
-
certains fichiers du ministère de la Justice (fichier des détenus dans les
prisons) ;
-
le fichier des comptes bancaires FICOBA détenu par l'administration fiscale.
[3] Même si l’étude suivante démontre
que les sociétés françaises ne sont pas au courant du projet de règlement européen
en cours de préparation sur la protection des données à caractère personnel :
http://blog.trendmicro.fr/reglementation-protection-donnees-les-entreprises-francaises-pas-vraiment-pretes/?utm_content=buffere9af0&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer
[4] La désignation d’un
correspondant Informatique et Libertés est prévu par l’article 22 de la loi
n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à
l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
[5] Lire à ce sujet l’article « Le
« kill switch » est l’arbre qui cache la forêt (des données) »
du 2 juin 2014 sur ce blog
[6] Idem
[7] L’article 11 de la loi de 1978
permet à la CNIL de délivrer des labels "à des produits ou des
procédures"
[8] Groupe
des 28 CNIL européennes et de la CNIL des institutions européennes qui permet
de garantir un cadre juridique cohérent relatif à la protection des données à
caractère personnel.
Merci pour ce très bon compte-rendu.
RépondreSupprimerLe Secrétaire général de la CNIL a a agréablement surpris l'assemblée durant cette soirée alors que le sujet pouvait paraître aux yeux de certains comme ennuyeux sinon rébarbatif.
M. Geffray a fait montre d'une évidente maîtrise des différents dossiers, souvent complexes car techniques et juridiques, soutenue par un discours globalement positif et ouvert.
Comme d'autres de ses brillants camarades à la CNIL ou ailleurs, M. Geffray fait partie de cette génération "XY" de décideurs qui maîtrisent bien mieux, que leurs aînés, la complexité de l'époque actuelle, qu'elle soit numérique ou pas. Et cela est plutôt rassurant !