dimanche 1 décembre 2013

Google versus le droit français d'Internet : and the winner is...




 La réglementation de l’Internet est un sujet délicat en droit français car il faut trouver le juste équilibre entre la garantie d’un espace libre protégeant les libertés fondamentales et la lutte contre des cyberattaques et la cybercriminalité. L’analyse d’affaires concernant exclusivement Google met en exergue la fragilité de cet équilibre.


     


 1. Une réglementation en dents de scie

Comme pour les journaux, Internet, récent espace de la libre expression ne doit pas, en principe, porter atteinte aux libertés individuelles.

Toutefois, par deux fois, Google a pu se faire exempter de peine dans un cas de suggestion injurieuse. Tout d’abord, le 4 décembre 2009, le TGI de Paris a sanctionné Google pour la suggestion « CNFDI [1] arnaque » sur le fondement de l’injure publique. Mais le 15 mai 2013, la cour d’appel de Paris [2] a infirmé cette première décision car l’action de la victime était déjà prescrite. En effet, l’injure publique constitue une infraction de presse qui fait l’objet d’une prescription d’ordre public abrégée de trois mois.

Dans cette affaire, la cour a estimé que l’action civile introduite le 12 août 2009 se heurtait à la prescription de trois mois acquise le 18 mai 2009, dans la mesure où la première mise en ligne de la suggestion « CNFDI arnaque » était antérieure à cette date. Elle considère aussi que la même suggestion dans les résultats associés, en bas de la page de recherche, ne constitue pas une seconde publication faisant courir un nouveau délai de prescription.

Cet arrêt de la cour d’appel de Paris confirme une jurisprudence de 2011 où Google avait également bénéficié de la prescription de trois mois à une suggestion associant le nom d’une autre société [3] et le terme « arnaque » [4]. Ce court délai de prescription est le délai qui jusqu’à alors s’appliquait surtout pour l’infraction d’injure publique dans les journaux papier. Or, l’injure publique est plus facilement repérable sur les publications papier que numériques. L’adaptation et le rallongement de ce délai de prescription serait une idée à explorer dans les cas de publications numériques afin d’éviter l’exemption de tels délits sur Internet.

Heureusement, ces arrêts ne constituent pas la règle.


Dans une première affaire [5], Google avait été condamné au pénal en raison de la mise en ligne de photos litigieuses afin que soient retirées de telles photos attentatoires à la vie privée. Contrairement aux affaires précédentes, l’affaire ne s’arrête pas là et dans un nouveau jugement du 6 novembre 2013 [6], le TGI de Paris a, à nouveau, condamné Google à retirer et à faire cesser l’affichage de neuf photos sur son moteur de recherche d’images. Il a même imposé l’obligation pour Google d’assurer la non réapparition de ces images pendant une durée de cinq ans [7]


Dans le même sens, et dans un jugement du 23 octobre 2013 [8], ce même tribunal a condamné Google à 4 000 euros de dommages et intérêts suite à son refus de supprimer des suggestions associant le nom d’un particulier à des termes évoquant une infraction. Dans un premier temps, le TGI de Paris a considéré que le délit d’injure n’était pas caractérisé mais il a quand même condamné Google. La faute de Google reposait sur « le défaut d’information de l’utilisateur (…) quant aux « recherches associées » et le caractère imparfait de l’information donnée sur la « Saisie semi-automatique »», ainsi que sur le refus de supprimer ces suggestions suites aux demandes de la personne concernée « au seul motif du caractère “automatique” et “statistique” de ces suggestions ».

Ainsi, la protection systématique des droits de l’utilisateur d’Internet n’est pas encore garantie. Cela se vérifie également avec la difficile protection des données à caractère personnel sur Internet.

2. Une réglementation inadaptée
Sans rentrer dans les débats provoqués par les révélations de l’affaire Snowden et pour ne rester que dans les affaires contre Google, l’article souhaite seulement signaler que la CNIL sanctionne également Google pour ses atteintes à la protection des données à caractère personnel.

Le 17 mars 2011, la CNIL a d’ailleurs délivré l’amende la plus importante de son histoire en condamnant Google à payer 100 000 euros en raison de la non-conformité des traitements des données collectées par Wifi dans le cadre  notamment des services Google Maps, Street View et Latitude.

Actuellement, la même affaire risque de se reproduire en raison de la possible non-conformité de la nouvelle politique de confidentialité de Google à la réglementation CNIL [9]. La CNIL a mis évidence "une série de manquements" concernant la protection de la confidentialité des utilisateurs. Ces manquements empêchaient l'utilisateur "de connaître l'utilisation qui peut être faite de ses données et les maîtriser".

Malheureusement, et, alors que Google a réalisé presque 15 milliards de dollars de chiffre d’affaires [10] au troisième trimestre de 2013, les amendes françaises restent encore bien trop faibles pour avoir un réel effet dissuasif sur le géant de l’Internet.

Pour conclure, il semble important de rappeler qu’en principe la solution dans la recherche de l’équilibre du droit, ici de l’Internet, réside dans la notion de proportionnalité. Or, il apparaît clairement à travers ces différents exemples que la proportionnalité entre la répression des atteintes faites des libertés individuelles et la totale liberté laissée à l’espace Internet est loin d’être atteinte.


[1] Le Centre National privé de formation à distance
[2] Arrêt du 15 mai 2013 de la cour d’appel de Paris, pôle 2- chambre 7
[3] Il s’agissait de la société Adomos
[4] Arrêt du 8 mars 2011 de la cour d’appel de Paris, pôle 1- chambre 1
[5] Arrêt du 8 novembre 2011, 17ème chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris
[6] Arrêt du 6 novembre 2013, 17ème chambre  correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris-Max M. / Google France, Google Inc
[7] Ceci au motif que « la mesure sollicitée de retrait et d’interdiction […] des 9 clichés provenant d’un délit pénal et déjà jugés attentatoires à la vie privée du demandeur, entr[ait] largement dans » le cadre juridique des articles 9 du Code civil et 6-1-8° de la LCEN, et qu’"aucune atteinte disproportionnée […] ne saurait résulter de la mesure d’interdiction d’indexation".
[8] Arrêt du 23 octobre 2013, 17ème chambre du TGI de Paris
[9] http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-donnees-personnelles-la-cnil-passe-au-mode-sanction-contre-google-55189.html

[10] http://www.liberation.fr/economie/2013/10/18/google-realise-presque-15-milliards-de-dollars-de-chiffre-d-affaires_940529

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