La réglementation de l’Internet est un sujet délicat en droit français car il faut trouver le juste équilibre entre la garantie d’un espace libre protégeant les libertés fondamentales et la lutte contre des cyberattaques et la cybercriminalité. L’analyse d’affaires concernant exclusivement Google met en exergue la fragilité de cet équilibre.
Comme
pour les journaux, Internet, récent espace de la libre expression ne doit pas,
en principe, porter atteinte aux libertés individuelles.
Toutefois,
par deux fois, Google a pu se faire exempter de peine dans un cas de suggestion injurieuse. Tout d’abord, le 4 décembre
2009, le TGI de Paris a sanctionné Google pour la suggestion « CNFDI [1]
arnaque » sur le fondement de l’injure publique. Mais le 15 mai 2013, la cour
d’appel de Paris [2]
a infirmé cette première décision car l’action de la victime était déjà
prescrite. En effet, l’injure publique constitue une infraction de presse qui
fait l’objet d’une prescription d’ordre public abrégée de trois mois.
Dans
cette affaire, la cour a estimé que l’action civile introduite le 12 août 2009
se heurtait à la prescription de trois mois acquise le 18 mai 2009, dans la
mesure où la première mise en ligne de la suggestion « CNFDI
arnaque » était antérieure à cette date. Elle considère aussi que la même
suggestion dans les résultats associés, en bas de la page de recherche, ne
constitue pas une seconde publication faisant courir un nouveau délai de
prescription.
Cet
arrêt de la cour d’appel de Paris confirme une jurisprudence de 2011 où Google
avait également bénéficié de la prescription de trois mois à une suggestion associant
le nom d’une autre société [3]
et le terme « arnaque » [4].
Ce court délai de prescription est le délai qui jusqu’à alors s’appliquait
surtout pour l’infraction d’injure publique dans les journaux papier. Or,
l’injure publique est plus facilement repérable sur les publications papier que
numériques. L’adaptation et le rallongement de ce délai de prescription serait
une idée à explorer dans les cas de publications numériques afin d’éviter
l’exemption de tels délits sur Internet.
Heureusement,
ces arrêts ne constituent pas la règle.
Dans une première affaire [5], Google avait été condamné
au pénal en raison de la mise en ligne de photos litigieuses afin que soient
retirées de telles photos attentatoires à la vie privée. Contrairement aux
affaires précédentes, l’affaire ne s’arrête pas là et dans un nouveau jugement
du 6 novembre 2013 [6],
le TGI de Paris a, à nouveau, condamné Google à retirer et à faire cesser
l’affichage de neuf photos sur son moteur de recherche d’images. Il a même
imposé l’obligation pour Google d’assurer la non réapparition de ces images
pendant une durée de cinq ans [7].
Dans
le même sens, et dans un jugement du 23 octobre 2013 [8], ce même tribunal a condamné
Google à 4 000 euros de dommages et intérêts suite à son refus de supprimer des
suggestions associant le nom d’un particulier à des termes évoquant une
infraction. Dans un premier temps, le TGI de Paris a considéré que le délit
d’injure n’était pas caractérisé mais il a quand même condamné Google. La faute
de Google reposait sur « le défaut d’information de l’utilisateur (…)
quant aux « recherches associées » et le caractère imparfait de
l’information donnée sur la « Saisie semi-automatique »», ainsi
que sur le refus de supprimer ces suggestions suites aux demandes de la
personne concernée « au seul motif du caractère “automatique” et
“statistique” de ces suggestions ».
Ainsi,
la protection systématique des droits de l’utilisateur d’Internet n’est pas encore
garantie. Cela se vérifie également avec la difficile protection des données à
caractère personnel sur Internet.
Sans
rentrer dans les débats provoqués par les révélations de l’affaire Snowden et
pour ne rester que dans les affaires contre Google, l’article souhaite
seulement signaler que la CNIL sanctionne également Google pour ses atteintes à
la protection des données à caractère personnel.
Le
17 mars 2011, la CNIL a d’ailleurs délivré l’amende la plus importante de son
histoire en condamnant Google à payer 100 000 euros en raison de la
non-conformité des traitements des données collectées par Wifi dans le
cadre notamment des services Google Maps, Street View et Latitude.
Actuellement,
la même affaire risque de se reproduire en raison de la possible non-conformité
de la nouvelle politique de confidentialité de Google à la réglementation CNIL [9].
La CNIL a mis évidence "une série de manquements" concernant la
protection de la confidentialité des utilisateurs. Ces manquements empêchaient
l'utilisateur "de connaître l'utilisation qui peut être faite de ses
données et les maîtriser".
Malheureusement,
et, alors que Google a réalisé presque 15 milliards de dollars de chiffre
d’affaires [10]
au troisième trimestre de 2013, les amendes françaises restent encore bien trop
faibles pour avoir un réel effet dissuasif sur le géant de l’Internet.
Pour
conclure, il semble important de rappeler qu’en principe la solution dans la recherche
de l’équilibre du droit, ici de l’Internet, réside dans la notion de proportionnalité.
Or, il apparaît clairement à travers ces différents exemples que la
proportionnalité entre la répression des atteintes faites des libertés
individuelles et la totale liberté laissée à l’espace Internet est loin d’être
atteinte.
[1] Le Centre National privé de
formation à distance
[2] Arrêt du 15 mai 2013 de la cour
d’appel de Paris, pôle 2- chambre 7
[3] Il s’agissait de la société
Adomos
[4] Arrêt du 8 mars 2011 de la cour
d’appel de Paris, pôle 1- chambre 1
[5] Arrêt du 8 novembre 2011, 17ème
chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris
[6] Arrêt du 6 novembre 2013, 17ème
chambre correctionnelle du Tribunal de
grande instance de Paris-Max M. / Google France, Google Inc
[7] Ceci au motif que « la mesure sollicitée de retrait et
d’interdiction […] des 9 clichés provenant d’un délit pénal et déjà jugés
attentatoires à la vie privée du demandeur, entr[ait] largement dans » le
cadre juridique des articles 9 du Code civil et 6-1-8° de la LCEN, et qu’"aucune
atteinte disproportionnée […] ne saurait résulter de la mesure d’interdiction
d’indexation".
[8] Arrêt du 23 octobre 2013, 17ème
chambre du TGI de Paris
[9] http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-donnees-personnelles-la-cnil-passe-au-mode-sanction-contre-google-55189.html
[10]
http://www.liberation.fr/economie/2013/10/18/google-realise-presque-15-milliards-de-dollars-de-chiffre-d-affaires_940529
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