samedi 1 mars 2014

La géolocalisation, un vide juridique enfin comblé?


L'évolution de la criminalité vers le domaine numérique a rendu nécessaire, en conséquence, l'évolution des techniques d'investigation. Parmi celles-ci, la recherche d'indices notamment numériques.

Selon la CNIL[1], la géolocalisation est une technologie permettant de déterminer la localisation d’un objet ou d’une personne avec une certaine précision. La technologie s’appuie généralement sur le système GPS ou sur les interfaces de communication d’un téléphone mobile.
Les applications et finalités de la géolocalisation sont multiples : de l’assistance à la navigation, à la mise en relation des personnes, mais aussi à la gestion en temps réel des moyens en personnel et en véhicules des entreprises, etc. De nouvelles possibilités sont régulièrement développées, telles que l’enregistrement des données pour apporter la preuve de la réalisation de certaines prestations.


En matière de criminalité numérique, la géolocalisation se révèle être une mesure d’enquête avantageuse voire indispensable pour la répression de certaines infractions.
Toutefois, cette technique contribuant à l'efficacité de la justice peut porter atteinte à la vie privée en constituant une véritable ingérence par la surveillance en temps réel de l'individu.
Afin d'atteindre le bon équilibre entre ces deux exigences, l'encadrement de la géolocalisation doit être fixé par une loi.

Plus précisément, la démarche de législation relative à la géolocalisation a été rendue nécessaire afin de mettre le droit français en conformité avec les exigences posées par la Cour européenne des droits de l’homme (EDH) dans son arrêt Uzun c/ Allemagne du 2 septembre 2010[2]ainsi que par la Cour de cassation dans ses arrêts du 22 octobre 2013[3].

L'arrêt de la Cour EDH mettait en cause l'utilisation de la géolocalisation dans une enquête pénale en raison de l’ingérence qu’elle constituait dans la vie privée de l’accusé, qui est protégée par l'article 8 § 1 de la Convention EDH[4]. Toutefois, la Cour EDH va mettre en avant le fait qu'en l'espèce, d'une part, cette ingérence est prévue par la loi et que d'autre part, la surveillance a été faite dans l'intérêt de la sécurité nationale après l'échec de mesures moins intrusives et pour une courte durée. Au final, la surveillance était bien proportionnée aux buts légitimes poursuivis et donc « nécessaire dans une société démocratique » prévu par l'article 8 §2 de la Convention EDH[5].

A son tour, la Cour de cassation met en exergue le fait que la technique de géolocalisation constitue « une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite d'être ordonnée sous le contrôle d'un juge garant du respect des libertés individuelles. » L'exigence du contrôle du juge pour toute mesure intrusive visant à rechercher des éléments de preuves numériques est donc rappelée[6].

Le gouvernement, après avoir saisi la CNIL pour avis[7], a engagé une procédure accélérée le 23 décembre 2013 auprès du Parlement pour légiférer sur la géolocalisation.
Le projet de loi avait pour objectif de mettre en place un dispositif juridique cohérent renforçant significativement la protection des libertés publiques et les droits de la défense, tout en offrant aux services d’enquête un cadre juridique sécurisé et adapté aux spécificités de leurs missions de constatation et d’élucidation des infractions et adapté aux nouveaux outils technologiques.

Au final, la nouvelle loi propose donc que la géolocalisation sera désormais autorisée dans les situations suivantes : sur autorisation du Parquet, dans le cadre des enquêtes préliminaires pour des infractions punies d’au moins 5 ans d’emprisonnement pour les délits d’atteintes aux biens et les délits douaniers et de 3 ans pour les délits d’atteinte aux personnes, de recel de criminel ou d’évasion.

Par ailleurs, a été maintenue la possibilité pour le Parquet d’autoriser la géolocalisation pour une durée de 15 jours dans le cadre d’enquêtes préliminaires. Au-delà, il appartiendra à un juge des libertés et de la détention d’autoriser la prorogation du dispositif pour une durée d’un mois renouvelable. Au cours de l’instruction, elle devra être autorisée par une décision écrite du juge d’instruction, pour une durée de 4 mois renouvelable[8].
On retiendra également que le texte autorise les procureurs à décider de mettre en œuvre « tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel (...) d'un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur »[9].
Le 25 février, Christiane Taubira, Garde des Sceaux a demandé la saisine du Conseil constitutionnel aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, suite à l’adoption du projet de loi relatif à la géolocalisation par les deux assemblées. Cette saisine[10] intervient en vue de valider ou non juridiquement la loi.

En effet des réactions, notamment celle du bâtonnier de Paris[11], se font entendre depuis l’adoption du texte :
-          Du fait du non suivi de l’avis de la CNIL, par exemple l’autorisation de la géolocalisation pour 15 jours et non 8 jours comme demandé par la CNIL ;
-          Du fait du flou de certains termes utilisés comme, par exemple, « tout moyen technique » ;
-          Du fait du non suivi de la jurisprudence de la Cour de cassation car la géolocalisation est confiée à l’autorisation du parquet, jugé non indépendant par la Cour EDH[12] et non au juge des Libertés et de la Détention.

Le dernier mot reste donc aux neuf sages de la rue Montpensier…


[1]http://www.cnil.fr/les-themes/deplacements-transports/geolocalisation/
[2] CEDH, 2 sept.2010, n° 35623/05, Uzun c / Allemagne
[3]Cass. Crim., 22oct.2013, n°13-81.945 et Cass. Crim., 22oct.2013, n°13-81.949.
[4] « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
[5] « Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
[6] Article de Myriam Quéméner « la géolocalisation à l'épreuve de la procédure pénale » paru dans la RLDI Droit de l'immatériel de décembre 2013
[7] La CNIL fait correspondre le recours à la géolocalisation, en temps réel,  à une interception du contenu des communications électroniques (articles 100 et suivants du code de la procédure pénale), c'est pourquoi il doit présenter des garanties en matière de contrôle et de protection des libertés individuelles telles une autorisation du magistrat motivée objet par objet.
[8] Pour plus de détails sur le contenu de la loi : http://www.lemondedudroit.fr/droit-penal/183524-geolocalisation-lors-dune-enquete-penale-adoption-definitive-au-senat.html
[9] Revue Lamy Droit de l'immatériel 2014/101, « En bref », p. 64.
[10] http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/actualites/2014/saisines-2014-692-%5Beconomie-reelle%5D-et-693-dc-%5Bgeolocalisation%5D.140189.html
[11] http://www.avocatparis.org/actualites-2014/2483-geolocalisation.html.

[12] CEDH, France Moulin c/ France du 23 novembre 2010.

1 commentaire:

  1. Le problème va être récurrent car les technologies se developpent de plus en plus vite. Alors que les lois sont sclérosées sur les technologies et ont du mal a suivre.
    sonia

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