L'évolution de la criminalité vers le
domaine numérique a rendu nécessaire, en conséquence, l'évolution des
techniques d'investigation. Parmi celles-ci, la recherche d'indices notamment numériques.
Selon la CNIL[1], la géolocalisation est une technologie permettant de déterminer la localisation d’un objet ou d’une personne avec une certaine précision. La technologie s’appuie généralement sur le système GPS ou sur les interfaces de communication d’un téléphone mobile.
Les applications et finalités de
la géolocalisation sont multiples : de l’assistance à la navigation, à la mise
en relation des personnes, mais aussi à la gestion en temps réel des moyens en
personnel et en véhicules des entreprises, etc. De nouvelles possibilités sont
régulièrement développées, telles que l’enregistrement des données pour
apporter la preuve de la réalisation de certaines prestations.
En matière de criminalité numérique,
la géolocalisation se révèle être une mesure d’enquête avantageuse voire
indispensable pour la répression de certaines infractions.
Toutefois, cette technique contribuant
à l'efficacité de la justice peut porter atteinte à la vie privée en
constituant une véritable ingérence par la surveillance en temps réel de
l'individu.
Afin d'atteindre le bon équilibre
entre ces deux exigences, l'encadrement de la géolocalisation doit être fixé
par une loi.
Plus précisément, la démarche de
législation relative à la géolocalisation a été rendue nécessaire afin de
mettre le droit français en conformité avec les exigences posées par la Cour
européenne des droits de l’homme (EDH) dans son arrêt Uzun c/ Allemagne du 2
septembre 2010[2]ainsi que
par la Cour de cassation dans ses arrêts du 22 octobre 2013[3].
L'arrêt de la Cour EDH mettait en
cause l'utilisation de la géolocalisation dans une enquête pénale en raison de
l’ingérence qu’elle constituait dans la vie privée de l’accusé, qui est
protégée par l'article 8 § 1 de la Convention EDH[4].
Toutefois, la Cour EDH va mettre en avant le fait qu'en l'espèce, d'une part,
cette ingérence est prévue par la loi et que d'autre part, la surveillance a
été faite dans l'intérêt de la sécurité nationale après l'échec de mesures
moins intrusives et pour une courte durée. Au final, la surveillance était bien
proportionnée aux buts légitimes poursuivis et donc « nécessaire dans une société démocratique »
prévu par l'article 8 §2 de la Convention EDH[5].
A son tour, la Cour de cassation met en
exergue le fait que la technique de géolocalisation constitue « une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite d'être
ordonnée sous le contrôle d'un juge garant du respect des libertés
individuelles. » L'exigence du contrôle du juge pour toute mesure
intrusive visant à rechercher des éléments de preuves numériques est donc
rappelée[6].
Le gouvernement, après avoir saisi la CNIL
pour avis[7],
a engagé une procédure accélérée le 23 décembre 2013 auprès du Parlement pour
légiférer sur la géolocalisation.
Le projet de loi avait pour objectif
de mettre en place un dispositif juridique cohérent renforçant
significativement la protection des libertés publiques et les droits de la
défense, tout en offrant aux services d’enquête un cadre juridique sécurisé et
adapté aux spécificités de leurs missions de constatation et d’élucidation des
infractions et adapté aux nouveaux outils technologiques.
Au final, la nouvelle loi propose donc que la
géolocalisation sera désormais autorisée dans les situations suivantes : sur autorisation du Parquet, dans le cadre
des enquêtes préliminaires pour des infractions punies d’au moins 5 ans
d’emprisonnement pour les délits d’atteintes aux biens et les délits douaniers
et de 3 ans pour les délits d’atteinte aux personnes, de recel de criminel ou
d’évasion.
Par ailleurs, a été maintenue la
possibilité pour le Parquet d’autoriser la géolocalisation pour une durée de 15
jours dans le cadre d’enquêtes préliminaires. Au-delà, il appartiendra à un
juge des libertés et de la détention d’autoriser la prorogation du dispositif
pour une durée d’un mois renouvelable. Au cours de l’instruction, elle devra
être autorisée par une décision écrite du juge d’instruction, pour une durée de 4 mois renouvelable[8].
On retiendra également que le
texte autorise les procureurs à décider de mettre en œuvre « tout moyen technique destiné
à la localisation en temps réel (...) d'un véhicule ou de tout autre objet, sans le
consentement de son propriétaire ou de son possesseur »[9].
Le 25 février,
Christiane Taubira, Garde des Sceaux a demandé la saisine du Conseil
constitutionnel aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, suite à
l’adoption du projet de loi relatif à la géolocalisation par les deux
assemblées. Cette saisine[10]
intervient en vue de valider ou non juridiquement la loi.
En effet des
réactions, notamment celle du bâtonnier de Paris[11],
se font entendre depuis l’adoption du texte :
-
Du fait
du non suivi de l’avis de la CNIL, par exemple l’autorisation de la
géolocalisation pour 15 jours et non 8 jours comme demandé par la CNIL ;
-
Du fait
du flou de certains termes utilisés comme, par exemple, « tout moyen
technique » ;
-
Du fait
du non suivi de la jurisprudence de la Cour de cassation car la géolocalisation
est confiée à l’autorisation du parquet, jugé non indépendant par la Cour EDH[12]
et non au juge des Libertés et de la Détention.
Le dernier mot
reste donc aux neuf sages de la rue Montpensier…
[1]http://www.cnil.fr/les-themes/deplacements-transports/geolocalisation/
[2] CEDH, 2
sept.2010, n° 35623/05, Uzun c / Allemagne
[3]Cass. Crim., 22oct.2013, n°13-81.945
et Cass. Crim., 22oct.2013, n°13-81.949.
[4]
« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son
domicile et de sa correspondance ».
[5] « Il ne
peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que
pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une
mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense
de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la
santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés
d'autrui ».
[6] Article de
Myriam Quéméner « la géolocalisation à l'épreuve de la procédure
pénale » paru dans la RLDI Droit de l'immatériel de décembre 2013
[7] La CNIL fait correspondre le recours à la
géolocalisation, en temps réel, à une
interception du contenu des communications électroniques (articles 100 et
suivants du code de la procédure pénale), c'est pourquoi il doit présenter des
garanties en matière de contrôle et de protection des libertés individuelles
telles une autorisation du magistrat motivée objet par objet.
[8] Pour plus
de détails sur le contenu de la loi : http://www.lemondedudroit.fr/droit-penal/183524-geolocalisation-lors-dune-enquete-penale-adoption-definitive-au-senat.html
[9] Revue Lamy
Droit de l'immatériel 2014/101, « En bref », p. 64.
[10] http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/actualites/2014/saisines-2014-692-%5Beconomie-reelle%5D-et-693-dc-%5Bgeolocalisation%5D.140189.html
[11] http://www.avocatparis.org/actualites-2014/2483-geolocalisation.html.
Le problème va être récurrent car les technologies se developpent de plus en plus vite. Alors que les lois sont sclérosées sur les technologies et ont du mal a suivre.
RépondreSupprimersonia